• Contribution de Pierre TCHIBOTA BOUANGA

    Féodalités économiques : dérives symptomatiques des régimes non démocratiques

    Pierre TCHIBOTA - BOUANGA

    Après un débat sur la tribalité, posant la question de savoir si ce concept pouvait être le soubassement du développement au Congo Brazzaville ? , Une nouvelle piste de réflexion nous est proposée.

    Tribalité et redistribution des richesses.

    Entre temps, le concept de tribalité a fait l’objet d’une maturation qui lui permet aujourd’hui d’être compris par de plus en plus de gens comme une approche socio politique permettant d’amener les sociétés aux composantes ethniques diverses à trouver un substrat intrinsèque lui donnant à créer et conforter son unité nationale pour aller vers le développement économique.

    A ce titre ce concept est à l’opposé du tribalisme, parce qu’il prône la recherche du comment mieux vivre ensemble, au-delà des différences ethno linguistique, lorsque le tribalisme s’appuie sur sa particularité pour rejeter l’autre au point d’en faire un principe de fonctionnement.

    Une fois ce cadre posé, et le constat fait qu’après cinquante ans d’indépendance le bilan socio économique des pays africains, est loin d’être élogieux, nous devons dans le cadre de l’analyse qui nous est proposé nous poser la question de savoir quelles sont les tendances marquantes du paysage  économiques africain et qu’est ce que la tribalité peut y apporter ?

    1 -  les tendances marquantes des dictatures en place sur le continent africain

    Nul ne peut objectivement contester que du Maghreb à l’Afrique australe, bon nombre de régime du continent africain se distingue sur le plan politique, par l’absence de véritable liberté d’expression, l’absence de justice sociale et l’absence de bonne gouvernance.

    Le vent de révolte qui souffle à l’heure actuelle sur les pays du Maghreb, trouve son fondement dans le cœur de ce triptyque.

    Les pays d’Afrique sub saharienne ne sauraient être épargnés par le même désir de changement, car ces mêmes ingrédients sont identifiables lorsque l’on décortique les structures de fonctionnement et de gestions des régimes en place.

    a-      L’absence de liberté d’expression.

    Ici l’attention est appelée sur les lois régulant la liberté de la presse, le fonctionnement des médias d’état, et l’accès de la société civile et de l’opposition aux médias d’état.

    L’argument tendant à dire que l’existence de diversités de parutions, est synonyme de liberté d’expression en Afrique prête à sourire.

    Nous ferons volontairement ici l’impasse sur les élections systématiquement entachées de fraudes et par conséquent contesté, comme si le continent était incapable d’organiser des scrutins dont les résultats sont acceptés de tous.

    Nous ferons volontairement l’impasse sur l’incapacité des organisations non affiliée au régime en place à pouvoir manifester librement et pacifiquement, sans que cela ne rende fébrile les dirigeants en place ou que cela ne fasse l’objet d’une répression.

    Ce qui retient notre attention ici, c’est la stratégie sournoise de mise sous «cloche » d’une presse véritablement libre, capable de procéder dans le respect de la déontologie journalistique à la mise en colonne des faits avérés de corruption, des dénonciations des pratiques politiques et économiques non conformes à la bonne gouvernance et enfin l’analyse des échecs des initiatives socio économiques des régimes au pouvoir.

    Cette stratégie vise un seul objectif, celui de ne pas permettre l’éclosion du contre pouvoir que peut constituer la presse. Grave constat lorsque l’on s’accorde à reconnaître que celui ci est un pilier de la démocratie.

    Suivant l’autoritarisme des régimes cette stratégie se traduit par l’emprisonnement des journalistes, les tracasseries administratives allant de l’application d’amendes abusives aux fermetures partielles ou totales des organes de presses, et tout autres types d’entraves à l’exercice de la profession de journaliste.

    En exemple l’un des derniers rapports de l’organisme……

    En outre, de façon plus précise les médias audio visuels font l’objet d’un contrôle étroit tel que le paysage audiovisuel des pays d’Afrique noire peut être subdivisé en 3 groupes.

    1er groupe des médias privés locaux qui ne peuvent proposer que variétés musicales, émissions de divertissements, sports ou films. 

     2e groupe de médias participants de bouquets satellites, qui sont reçus de l’occident, de l’étranger.

    (Celles-ci peuvent d’ailleurs faire l’objet d’un arrêt de réception, en fonction du contexte politique du moment, comme on a pu le voir en côte d’ivoire en décembre 2010).

    3e groupe de médias constitués de chaînes nationales ou de chaînes appartenant aux proches du régime qui semble avoir pour unique vocation de promouvoir l’image et la politique du régime. Ici dans bien des cas les rédactions sont soit sous contrôle du gouvernement, soit pratiquent l’auto censure.

    La menace clairement affichée et déjà à l’œuvre, c’est le contrôle du paysage audio visuelle à l’avantage exclusif des régimes en place, au mépris du droit à l’éducation, l’investigation et l’information.

    Propositions

    Les traditions africaines ont rarement été connues pour avoir systématisé la suppression de la liberté de paroles. Les systèmes d’expressions les plus anciens connu, montre que des dispositifs permettant d’identifier, analyser et apporter des solutions aux problèmes sociaux économiques ont toujours existé à l’image du «Mbongui», et qu’ils participaient à la consolidation des liens sociaux. En cela la liberté d’expression est une valeur qui ne peut être dénié aux populations africaines et il est nécessaire de conforter les cadres garantissant cette liberté. Ces propositions vont en ce sens.

    -Vote d’un projet de loi garantissant l’accès de façon égale aux médias nationaux entre l’opposition et la majorité au pouvoir, ceci y compris hors contexte électoral, sous l’égide des autorités indépendantes ayant en charge la communication.

    - vote d’un projet de loi interdisant le contrôle financier de plus de 60% du capital d’un organe de presse.

    - vote d’un projet de loi interdisant toutes formes de monopole dans les secteurs de la presse écrite et audio visuelle. 

    - vote d’une loi protégeant l’anonymat des sources de la presse.

    - Mise en place sur fonds publics d’émissions, donnant libres expressions aux populations sur leurs conditions de vie et sur la promotion des cultures régionales afin de faciliter la connaissance des cultures.

    - Accès libres aux informations concernant la constitution du capital  des organes médias locaux et étrangers opérant sur le territoire national.

    b-      L’absence de justice sociale

    Corruption institutionnalisée, l’impunité des élites politiques et économiques responsables des malversations, voire de crimes et l’insuffisance d’infrastructures socio-éducative participent au maintien d’un système ou les plus puissants, ceux qui disposent de moyens financiers considérables ou d’appui politique important imposent leurs desiderata ou leurs lois aux autres.

    Traditionnellement les élites sous l’ère pré coloniale accédaient à un statut après avoir fait la preuve de leur capacité a assumer certaines fonctions. Ils étaient préparés en cela par un parcours initiatique puis par un apprentissage. Une fois investies dans leurs fonctions, ces élites devenaient responsables de la bonne «marche des choses ». Une succession de crises (famine, catastrophes, conflits sociaux ou patrimoniaux…) leurs était éventuellement imputable du fait par exemple d’une mauvaise pratique dans la gestion des «affaires de la cité ».

    De nos jours, malgré un statut déjà enviable au regard de la situation de la plupart des pays africains, les magistrats restent perméables à la corruption.

    Les magistrats restent également dans bon nombre de cas fortement dépendant des pressions politiques émanant du ministre de tutelle quand ce n’est pas des présidences. Le droit n’est pas dit, il «est fait » selon les circonstances et en fonction des intérêts.

    Ces situations sont sources de défiances vis à vis des institutions judiciaires par les populations africaines ; car bien souvent les Africains ont l’impression d’avoir affaire à une justice aux ordres, quand ce n’est pas une justice soumise aux lobbies commerciaux et financiers.

    Seul une justice indépendante, véritablement garante des intérêts de tous justiciable peut permettre de ré instaurer une véritable autorité de l’état.

    Propositions

    -          Introduire l’inamovibilité de certains magistrats et réviser leurs statuts.

    -          Mettre en place une véritable dynamique de sanction pour les magistrats indélicats

    -          Introduire une plus grande cohérence dans les cartes judiciaires nationales

    -          Accroître les moyens en infrastructures du corps judiciaire afin d’augmenter la célérité et la qualité des instructions.

    c-      L’absence de bonne gouvernance

    Mise en coupe réglée des différents secteurs de l’économie via une économie de rentes et de prébendes, absence de transparences dans les gestions des recettes et dépenses de l’état.

    Le constat  de l’échec économique du continent n’est plus à faire. Pire les économies africaines deviennent un enjeu d’appropriation exclusif sans incidence majeur sur le développement pour 3 catégories :

    -          les sociétés à capitaux transnationaux

    -          les mafias transnationales et locales

    -          Les clans ou groupes d’individus ayant le contrôle de l’armée et du système politique.

    Aujourd’hui le personnel politique africain est celui qui regroupe les plus grosses fortunes du continent. Faisant fi ! de la collusion et des conflits d’intérêts.

    L’intérêt personnel des personnes en charge de la chose publique, prévaut sur la préservation de l’intérêt général.

    Nous vous épargnerons ici la longue liste des chefs d’états du continent (qui pourtant sont quasiment tous d’origines modestes), détenteurs de « fortunes » pharaoniques au mépris de la paupérisation de leurs populations. Nous diront simplement que le continent ne peut se développer équitablement sans avoir redéfinit les rapports des puissances politiques et publiques avec l’argent et les sources d’argent.

    Ici l’éthique de la responsabilité est au cœur de la problématique.

    Les sociétés africaines pré coloniales avaient «systématisé» dans les relations sociales la responsabilité des «aînés » ou «anciens » vis à vis de ceux qui étaient placé sous leur autorité.

    Les «aînés et/ou anciens » assumaient les besoins vitaux, l’éducation des membres de la famille, du clan, de la tribu, du village… mais recevait en retour, respect et reconnaissance (pas nécessairement soumission). L’intérêt du groupe et par ricochet l’épanouissement de l’individu comme composante du groupe, était placé au centre de la démarche socio politique.

    Aujourd’hui nous semblons vivre exactement l’inverse, et le choix de l’enrichissement personnel passe par perte et profit, la perspective de l’épanouissement de l’individu et de la communauté au sens le plus large.

    Or il ne peut y avoir de développement sans un investissement dans la première richesse que constitue l’homme. Les populations africaines dispose d’un capital humain sur lequel il est désormais impératif de miser si l’on veut sortir  les économies africaines de l’ornière.

    Cela induit l’obligation pour l’état de créer les conditions d’un véritable développement humain en permettant,  au plus grand nombre l’accès à une véritable alimentation, à de véritables soins, et une véritable instruction.

    Les moyens nécessaires à ces investissements se trouvent aujourd’hui confisqué par des régimes politique qui accaparent les capitaux qui auraient dû être dévolues à ces besoins qui sont des indicateurs et des axes de progrès.

    Ces confiscations sont à l’opposé du rôle de l’état qui doit entre autres avoir pour vocation, de redistribuer les fruits de l’effort national. L’absence de redistribution de la richesse nationale est un élément moteur de la création de frustrations des populations envers les régimes identifiés à un clan ou un groupe, mais aussi vers le rejet de toutes les formes d’administrations proposées jusqu’alors.

    L’absence de redistribution, est source de sentiment d’exclusion des populations qui finissent par considérer que seul le contrôle du système politique par un groupe auquel on appartient permet plus facilement de bénéficier des richesses du pays. Cela conduit donc inexorablement  à la mise en concurrence acharnée (voir armée) des différents groupes ou clans s’alliant par lien de «solidarité ethnique », pour le contrôle du pouvoir.

    Il faut donc s’engager vers un véritable démantèlement des systèmes qui conçoivent la gestion de l’état à travers la gestion non transparente des ressources nationales et leurs appropriations par des groupes d’individus inféodés au pouvoir en place.

    Propositions

    1 – Création d’une Autorité pour la transparence économique et Financière (ATEF)

     Il s’agirait d’une structure légère, indépendante ayant pour mission sur l’étendue du territoire national de veiller à la transparence de l’activité économique et financière.

    Pour cela elle exercerait 4 types de responsabilités :

    -          réglementation

    -          Surveillance et investigation

    -          sanction

    -          autorisation

    Objectif : Lutte contre l’opacité financière pour une meilleure maîtrise des ressources économiques en amont de leurs redistributions

    2- Création d’un fond national pour l’instruction correspondant à plus de 5% du budget annuel.

    Le fond serait destiné à la réalisation sur 6 ans d’un programme de création de structures d’enseignements «d’élites » allant de la 6e à la terminale et accueillant les élèves les plus brillants et les plus méritants. Ces structures devraient êtres construites dans toutes les zones ethno linguistiques du pays et doivent privilégier un large brassage des élèves.

    3-      Création d’un Fond d’investissement ayant vocation à prendre au nom et pour le compte de l’état

    Des participations dans des entreprises nationales ou étrangères (essentiellement des PME) offrant un fort potentiel de croissance ou dans des domaines d’activité en devenir. 

    4-      Mise en place d’un cadre législatif réservant par le biais d’un dispositif fiscal, la possibilité de voir les budgets des instances régionales être alimenté entre autre par une taxe nouvelle

     La taxe économique territoriale (TET). Celle ci aurait pour composante, une imposition de la valeur foncière des structures économiques installées dans chaque région, ainsi qu’une contribution perçue sur la valeur ajoutée ou richesse produite par ces entreprises. La taxe économique territoriale (TET) serait destinée exclusivement aux financement d’infrastructures locales ou régionales.

    5-      Mise en œuvre du principe de la déclaration de patrimoine avant toute prise de fonctions par les composantes du personnel politique.

    6-      Création d’un fond d’investissement pour l’artisanat et les PME (FIAPE)

    Il s’agit ici de rassembler au sein d’une même structure des prêteurs de fonds privés, l’état et les entrepreneurs dont les projets relève des secteurs artisanaux ou des PME-PMI, aux tailles défini.

    Les artisans et entrepreneurs y trouveraient par des procédures simples un accès au financement pour leurs activités. En contrepartie ils se soumettraient à des procédures allégées de contrôle et de suivi dans le développement de leurs activités.

    -          Les apporteurs de capitaux privés se verraient offrir un marché pour investir leurs liquidités en acceptant un retour sur investissement limité en terme de participations, ou une rémunération en terme de taux d’intérêt limité et/ou encadré par la loi, car la vocation est avant tout de participer à l’éclosion d’un vrai tissu entrepreneuriale par la création de sources de financement d’accès plus simple et mieux garantit.

    -          L’état apporterait des fonds afin de garantir dans une certaine mesure les prêts accordés aux entrepreneurs. Les garanties des mêmes entrepreneurs étant fixées selon la logique de la tontine.

    7-      Mise en place d’une disposition constitutionnelle obligeant les partenaires économiques à davantage de transparence financière

    Cette disposition obligerait les groupes à capitaux transnationaux ayant pour domaine d’activité le commerce, l’industrie, les nouvelles technologies, l’exploitation des ressources minières et pétrolières à publier les redevances, taxes, impôts, et autres «cash profit » acquitté auprès du trésor public national, ainsi qu’auprès des entités administratives des collectivités territoriales.

    Voici donc présenté quelques propositions, pouvant faire l’objet d’un développement plus approfondit, mais qui tente de s’appuyer sur des valeurs ou principes émanant des tribalités africaines pour tenter de donner à l’Afrique des outils pour arriver à un développement plus équitable au bénéfice de ses populations. D’autres propositions viendront, nous en sommes certains, d’africains désormais déterminés à prendre en main le destin du continent.


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