• Tribalité, les murmures des ombres

    A l’allure où vont les choses, nous sommes en train d’être vampirisé par des discours politiciens à nous dissiper sur la réalité de ce qui nous est ontologique. Là où sous d’autres cieux la tribalité est le socle des assises identitaires, chez nous au Congo, elle devient une idéologie, galvaudée pour nourrir la polémique.

    La tribalité est d’abord et avant tout une manière d’être soi. Elle définit une manière d’être au monde. Elle est inspiratrice d’un référentiel du vivre ensemble. Elle est une structure d'interprétation, de schémas cognitifs, pour comprendre les événements qui se produisent avant de devenir une structure d’organisation. Elle est une loi immanente inscrite dans le corps par des histoires identiques et déposée en chacun de nous par la prime éducation, celle de notre patrimoine culturel commun.

    La tribalité est de l’ordre de l'habitus qui met en scène une intériorité habitée par le sens pratique qui fournit une alternative féconde aux conceptions culturelles venues d’ailleurs. La tribalité n’est ni un concept ni une idéologie, elle est un paradigme. En tant que telle, elle ne peut pas incarner la régression. Elle ne s’inspire pas des archaïsmes, elle se nourrit au contraire des archétypes. Il ne s’agit donc pas d’un retour à je ne sais quel âge de la pierre.

    La tribalité parle de ce supplément d’âme qui encadre la modernité. Pourquoi parle-t-on ici et là de comité d’éthique ? Pourquoi évoque-t-on la crise des valeurs ? Eh bien, c’est par ce que la poussée consumériste s’est rué tout azimut broyant au passage la singularité des peuples.

    On oublie un peu vite l’esclavage. L'esclavage a été une pratique fréquente au cours de l'histoire et chez de nombreux peuples (Egyptiens, Romains, Moyen Orient, Afrique, Chine, Etats-Unis, colonies occidentales...). Entre le XVIe siècle au XIXe siècle, la traite qui a importé d'Afrique noire plusieurs millions d'esclaves a permis un développement rapide du Nouveau Monde et des économies européennes, grâce à une main-d’œuvre corvéable et bon marché. Les mots connexes à l’esclavage, asservissement, exploitation, servitude ne se déclinent pas seulement dans le champ économique, elles sont aussi un puissant signifiant de l’horreur d’un génocide plus pernicieux qui touche la tribalité des peuples. Le plus impressionnant ici, c’est qu’à ne voir la modernité que dans les belles maisons, les belles voitures, les chaussures de la sape, on se soumet à un véritable oubli de la mémoire de l’identité. Un crime porte en lui l’insigne perversité diabolique de pouvoir se perpétuer grâce aux survivants.

     Dire que la définition du mot colonisation qui insistait sur le bienfondé de l’acte civilisatrice (coloniser un pays pour le mettre en valeur, en exploiter les richesses) intègre désormais cette citation d'Aimé Césaire : "colonisation =chosification" ("Discours sur le colonialisme"), permet désormais la possession d’une dynamique identitaire dans cette ultime tentative de sauvegarder les valeurs qui permettent de digérer la modernité. La tribalité est un rempart. Rempart à l’aliénation psychique, elle constitue un cercle vertueux.

    On peut penser que les peuples qui résistent le mieux à la dévastation et à l’écrasement culturelle préservent leur intégrité d’hommes tout en trouvant leur place dans le concert des nations modernes et prospères. La tribalité chinoise est en train de conquérir le monde. Elle a fini par se dialectiser en mode de vie et en développement économique pour parvenir à symboliser un modèle de prospérité.

    Parions que la révolution tunisienne qui se déploie sous nos yeux repose sur de solides étayages. On sait désormais qu’elle repose sur un peuple mûr qui commence, comme partout ailleurs de remettre en cause les intrusions extérieures.             

    Les exemples font légion pour expliquer ce qu’il en advient lorsque les verrous de la tribalité sautent. Nous observons le cas d’élèves en échec scolaire du fait d’un bilinguisme où la langue maternelle est considérée comme moins prestigieuse que la langue d’adoption. Ce bilinguisme soustractif peut occasionner des troubles de langage. Nous n’insisterons pas sur le cas où les personnes sont malades d’être soi, la défaillance de l’estime de soi a pu dans certains cas relevé d’une perte de repères culturels. Nous avons pu noter lors de nos consultations que certains patients souffraient de déliaison ou de déraison par ce que les assises narcissiques avaient perdues leur contenant. On peut aussi citer les situations où la parentalité dépouillée de ses référents culturels produit la défaillance de l’autorité parentale.

    Enfin lors de la guerre de 1997 une image devenue pour moi traumatique a marqué les esprits : il s’agit d’un adolescent armé qui tenait en joue une mamy à genoux devant lui suppliant « ko boma ngai te ». Le coup est parti, nul ne sait ce qu’est devenu ce jeune homme, mais pour des cas similaire au Rwanda, des campagnes de thérapie ont été initiées pour réhabiliter une forme de tribalité.

    De quelles ombres parlons-nous? Quelles sont donc ces ombres qui murmurent ? Ce sont ces sempiternels faits de népotismes qui nourrissent des cercles vicieux instaurés ça et là par l’absence d’institutions fortes. L’incorruptibilité des structures régaliennes de l’état n’ont pas pu être conçu car on connait aujourd’hui, avec le film sur la françafrique, les velléités des forces occultes qui minent dans l’ombre l’éclosion de véritable exercice de la démocratie. Les ombres sont tenaces, puisque le pouvoir issu de la seule élection qui fit consensus n’a pas abouti à l’unité nationale. Cela est certainement dû au fait que la conférence nationale fut un inachevé qui n’a pas été plus loin que l’accession au pouvoir. C’est comme si la conférence nationale avait érigé le processus électoral et les mécanismes de la démocratie sans en analyser avec le plus grand soin, les fondements doctrinaux. La démocratie est le fruit de la tribalité grecque qui repose sur une doctrine.

    Or une doctrine est un « ensemble de principes, d'énoncés, érigés ou non en système, traduisant une certaine conception de l'univers, de l'existence humaine, de la société, etc., et s'accompagnant volontiers, pour le domaine envisagé, de la formulation de modèles de pensée, de règles de conduite »

    Ceux qui cherche les preuves du nécessaire recours à la tribalité observez et arrêtez vous une seconde sur plusieurs sujets traités sur Zenga-Mambu: les enfants de la rue, la toxicomanie, la prostitution dans des lieux comme la morgue. Vous savez, tous les jours je rencontre des personnes en déshérence, des familles en désarroi, même à l'hôpital psychiatrique de Brazza où j'ai travaillé, à chaque fois il y a à la base une très grosse perte de repères.

    La tribalité nous remet dans les arcanes des valeurs du kimuntu beaucoup trop enfouies dans des frivolités nées du culte hédoniste du plaisir des sens à tel point que la perte du minimum d’ascèse conduit aux cataclysmes politiques que nous connaissons aujourd’hui.

    La tribalité c’est comme la résilience, elle sommeille en nous. Il s’agit maintenant de l’exhumer ou de l’excaver comme le font le peuple tunisien, égyptien …..


  • Commentaires

    1
    georges NTSIBA
    Mercredi 21 Décembre 2011 à 06:24
    L'organisation de cette seconde édition aura été un pas supplémentaire pour donner à la tribalité une densité supplémentaire. Merci à KOVALIN & toute son équipe. La logistique déployée montre tout le sérieux du propos. La qualité des interventions est un pari pour l'avenir
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