• Contribution de Christian Mayandzi

    Ségrégation foncière, Pillage économique et Compétences transférables comme facteurs de (sous-) développement en Afrique francophone : l’exemple  du Gabon

     

    Monsieur Christian MAYANDJI intervient le 25 septembre 2010, à l’Institut des Etudes Politiques de Strasbourg (IEP), dans le cadre de la conférence-débat consacrée aux 50 ans d’indépendances des Etats d’Afrique qu’organise le CDACE. Il nous fait partager ses précédentes interventions à la fête de l’humanité (stand de Survie sur invitation de PVA Gabon) : 11/09/2010 et à la conférence-débat sur le diagnostic et les potentialités d’un nouveau cadre de développement économique, politique et social des Etats de la CEMAC : 24-25/09/2010.

     

     Les commentaires du schéma

    Le circuit vert représente le circuit de l’accumulation du capital et des revenus du capital

    Le circuit mauve représente le circuit de paupérisation et d’accumulation des revenus dutravail (salaire, primes)

    (1)  Durant la période coloniale :

    A – Définition de la législation portant sur l’activité économique des territoires sous souveraineté essentiellement par décret de l’exécutif, notamment du Ministère des Colonies et exceptionnellement par délibération du parlement ;

    B - Délégation de missions d’administration publique du territoire sous souveraineté

    Après accession à la souveraineté républicaine :

    C – Cession du patrimoine publique à l’Etat gabonais au titre, en sa qualité de puissance publique, de son droit de souveraineté ;

    D – Cession du patrimoine privé – notamment des  territoires relevant auparavant, et dans les faits, du contrôle des populations locales – uniquement à l’Etat gabonais qui devient de ce fait et dans la confusion le principal propriétaire foncier de la république gabonaise.

    E – Accords de coopération et d’assistance technique

    F – Couverture des risques politiques et commerciaux des entreprises françaises

    -          Directement par le biais de l’intervention des établissements spécialisés de statut  publics, para - publics ou privé à capitaux partiellement  publics ou totalement privé.

    -          Indirectement par la pression économico-financière, militaire et politique en cas de non exécution des contrats signés avec les entreprises représentant les intérêts de la France.

     (2)  Durant la période coloniale :

    A – Suppression de la capacité juridique des populations locales en matière politique (création du statut de sujet de l’Empire français par opposition au statut de citoyen de la République Française) et en matière d’initiative  économique (suppression du droit d’accès à la propriété [privée], notamment foncière) pendant la période coloniale. L’Etat français exerce sa souveraineté sur la partie du patrimoine relevant du domaine public et  est propriétaire de la partie du patrimoine relevant du domaine privé  dans les territoires de l’Empire ; donc pas d’accès au processus de capitalisation permettant de construire un tissu local d’entrepreneurs privés et de capitaines africains d’industries à l’instar de ce qui s’est développé parallèlement dans les actuels pays occidentaux.

    Après l’accession à la souveraineté républicaine :

    B – Accession des populations gabonaises à la citoyenneté

    -          Rétablissement de la capacité juridique en matière politique (droit de vote), mais « encadrement » de son exercice ;

    -          Limitation de la capacité juridique des citoyens gabonais à accéder à la propriété foncière uniquement dans les agglomérations situées à l’intérieur des communes de plein exercice ; en dehors de ce périmètre, les citoyens gabonais ne reçoivent que des titres d’occupations lorsqu’ils ont l’opportunité d’être informés de la démarche à suivre pour se faire reconnaitre quelques droits.

    C – la capacité juridique des collectivités territoriales est également limitée au point qu’elles sont amenées à subir l’implantation des entreprises bénéficiaires des concessions ou de permis d’exploitation. Elles n’ont que très peu de moyens juridiques d’exercer la moindre contrainte sur ces entreprises - ni le moindre contrôle en matière de gestion de l’environnement – en dehors exceptionnellement de la fixation du montant de ses taxes. La perception de ses recettes est assurée par le trésor public et redistribué par le trésor public. Pour les moindres investissements dans le périmètre de leurs juridictions, ces collectivités sont réduites à « mendier » à des subventions au près des entreprises concessionnaires ou à attendre les décisions d’intervention du Gouvernement.

    D – Des mouvements de défense des citoyens se créent mais les actions restent corporatistes ou territoriales pour l’essentiel et limitée par la faible préparation à des formes de luttes frontales de longue durée. Les associations, les groupes de pression, et les organisations non gouvernementales prennent le relais avec des succès encore timides.

    E – L’Etat, principal propriétaire foncier, est également le principal employeur de la République Gabonaise. Pour faire face à ces charges de fonctionnement et surtout éviter la chute du régime en place depuis l’accession à l’indépendance, cet Etat est condamné à la fuite en avant en maintenant le régime des concessions, en s’impliquant directement dans le montage financier et juridiques des opérations internationales, et en bradant à des conditions léonines l’exploitation des ressources naturelles au lieu de promouvoir le développement de ses produits primaires en s’appuyant sur le travail des populations locales.

     (3)  Compétences de l’administration coloniale, puis par l’Etat souverain :

    A - Attribution de concessions de gestion ou d’exploitation, de permis, d’autorisation de commerce

    B – Perception des ressources fiscales et para – fiscales ;

    C – Exécution du budget de fonctionnement et d’investissements publics ;

    Mode d’implantation des entreprises multinationales :

    D – Signature des contrats internationaux de droit privé par les entreprises multinationales et l’Etat  du Gabon agissant à la fois en tant que souverain sur le domaine public et en tant que propriétaire du domaine privé, notamment foncier sur l’étendue de la république gabonaise ;

     (4)  A - Contrôle des opérations et des transactions internationales :

    -          Gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires ;

    -          Contrôle des fournitures des biens et services à l’Etat gabonais ;

    -          Orientation du secteur privé de l’économie gabonaise vers des investissements à cycle court de rentabilité, avec un absence ou une gestion maîtrisée  des risques politiques et commerciaux, donc absence de politique privée d’industrialisation tournée vers l’exportation en dehors des activités d’extraction minières, pétrolières et forestières ;

    -          Maitrise des circuits de distribution en équipements domestiques et en produits importés de consommation courante ;

    -          Faible présence de circuits ou filières de distribution de véhicules et d’équipements industriels

    -          Développement des emplois précaires, du cadre institutionnel du salariat,

    B - Développement des emplois précaires, du cadre institutionnel du salariat,

    -          Recrutement de la main d’œuvre expatriée (dans l’ordre et jusqu’à la fin des années 1970)

    1. Européenne pour l’encadrement stratégique et intermédiaire,
    2. Africaine pour l’encadrement de proximité,
    3. Locale pour le personnel d’exécution

    -           Organisation  de l’emploi privé et distribution des revenus du travail, principalement des salaires pour la main d’œuvre locale et régulièrement des honoraires pour une partie de la main d’œuvre expatriée ;

     (5)  A – Le principal moteur de croissance de l’économie est le développement de ses échanges internationaux. L’Etat favorise et organise l’expansion ainsi que l’implantation des entreprises françaises dans les autres pays. L’instrument de ce dispositif est le réseau des postes d’expansion économique (banques, assurances, ambassades, consulats, unités militaires, réseaux d’entreprises déjà implantées..)  chargé de faciliter et de sécuriser les opérations de ces entreprises.

    B -  Il faut souligner que le poids des économies africaines dans l’économie française est, contrairement à nos convictions idéologiques, plus faible que celui des entreprises françaises dans nos économies notamment en Afrique subsaharienne : ces entreprises ont un effet structurant. Ce constat doit être nuancé :

    -          Les ressources exploitées dans certains pays ont un rôle relativement stratégique pour l’économie française même si la valeur à l’entrée sur le territoire français est faible ; à vrai dire, cette faible valorisation ne s’explique que par le choix de limiter le cycle d’investissement dans le territoire d’approvisionnement et de le poursuivre au plus près des consommateurs ;

    -          Les ressources exploitées sont vendus par d’autres filiales des mêmes multinationales sur les marchés internationaux et les ressources financières qui en découlent sont versées par d’autres filiales du même groupe spécialisées dans la gestion de la trésorerie inter-entreprise. Du fait de ces multiples circuits, on peut considérer les pays détenteurs de ressources enregistrent certes les exportations, mais elles ne maîtrisent ni la vente, ni la gestion financière des fruits de cette vente. L’essentiel de la valorisation s’effectue à ces niveaux de la filière pour le compte des filiales spécialisées, et – par le biais de la consolidation des comptes – de la holding faisant office de société-mère. Cette valorisation renforce indirectement l’économie française. L’impact sur l’économie gabonaise ne peut s’apprécier que par les ressources fiscales ou para - fiscales ainsi que par les participations qui reviennent légalement ou contractuellement à la partie gabonaise.

     Les conséquences

    Nous pouvons considérer à travers cette monographie que

    - le système capitaliste s’est bien étendu aux filières économiques des secteurs institutionnels et informels au Gabon. Un dispositif spécifique mis en place par décret prive les populations locales d’accéder au capital foncier, élément déterminant permettant de bénéficier des revenus du capital et construire une classe locale d’initiateurs économiques et de capitaines d’industries capables, par leurs moyens et leurs actions, de produire des effets structurants sur l’économie gabonaise ;

    - les entreprises françaises sont les principaux facteurs de la spirale inflationniste en Afrique par le rôle qu’elles jouent en (4), de la hausse du coût de la vie et de la compression du pouvoir d'achat des populations africaines : du fait de leur position dominante et leurs facultés à exploiter l’ignorance de leurs clients, elles ont influencé les prix industriels et domestiques à la hausse, tout en limitant le niveau et la progression des revenus du travail ; Cela a eu pour conséquence une hausse du niveau de vie mais une baisse de la qualité de vie pour la majorité de la population.

    - les activités développées n’apportent pas de réelles valeurs ajoutées pour un développement des économies locales  favorables aux intérêts des populations des pays concernées (cf. 3 et 4) ; la propension à drainer et canaliser les circuits financiers n’est plus à démontrer.

    - Les entreprises françaises en situation monopolistique ont détourné la finalité des économies africaines (4)

    * en les transformant en marchés captifs

    * en raccourcissant les cycles d'exploitation de chaque activité

    * en détournant les priorités d'investissements publiques

    par un lobbying très actif au plus haut sommet de chaque Etat (1 et 5) et par la neutralisation des échelles inférieures de décision.

    A vrai dire, l’acte de pillage commence avec l’acte d’exclusion des populations locales du droit à la propriété sous la forme d’un décret du ministère des colonies (cf. 2). Cet acte qui se présente sous aspects généreux, à l’instar de la nouvelle charte des entreprises rédigées à l’occasion du sommet franco-africain le 01/06/2010 (cf. note de bas de page) : ce décret accorde aux populations locales le droit de mettre en valeur les terres qu’ils occupent uniquement à des fins de consommation des produits qu’ils en tirent. En fait, cet acte constate qu’en tant que sujet de l’empire, ces populations ont perdu les droits économiques dévolus aux seuls citoyens de la République française aussi bien en métropole que sur le territoire de l’empire. Les formules littéraires ont sur ce plan fortement aidé les autorités à prendre des décisions sans avoir l’impression d’opprimer les destinataires de ce décret. De même, on peut observer que les déclarations d’intention contenues dans la nouvelle charte reconnaissent à demi mots la responsabilité des entreprises françaises dans la faillite des économies africaines. Elles témoignent en même temps des limites de leur engagement à modifier la situation. Cet engagement est conditionné par la capacité à contenir la menace chinoise et le maintien de leurs intérêts en l’état. Plutôt qu’une remise en cause de la finalité de leurs interventions, l’attitude de ces entreprises reste confinée à l’aménagement de ces interventions : nous nous engageons à faire moins mal, mais nous ne pouvons éviter de faire mal. Tel peut se résumer la charte. Vu ainsi, le pillage économique ne fait que changer de forme. Les pays africains peuvent – ils sortir de cette logique ?

    La réponse à laquelle ces pays sont renvoyés est de s’orienter vers une meilleure exigence et pratique de la démocratie (cf. Charte du 01/06/2010 en annexe), sauf que la mise en œuvre entraine les pays vers des crises sociales brutalement interrompues par des brutaux rétablissements de l’ordre - sous forme d’interventions militaires et d’arrestations arbitraires ou exécutions sommaires - et suivie par la reprise des activités économiques des entreprises françaises. L’Etat – surtout le régime en place – sort un peu plus affaibli par la nouvelle épreuve sociale, la population ébranlée perd un peu plus confiance dans ses institutions et dans l’espoir d’une vie meilleure. Seules les entreprises françaises sembles sortir indemne de ces épreuves – cycle, revendications, crises, rétablissement de l’ordre - et même un peu plus solides. Pourquoi cette apparente impassibilité et invulnérabilité face aux mouvements socio-économiques ?

    Les entreprises sont ou vivent comme des enclaves protégés juridiquement et militairement (cf. 1 et 5) des conséquences des actes économiques qu’elles posent.

     Conclusion

    Les entreprises françaises ont été les principales bénéficiaires des velléités d'expansion ou de développement des républiques africaines. Les populations africaines en ont été les victimes. Il y a cependant des solutions alternatives pour modifier ce système en attaquant à la racine les mécanismes pervers mis en place par ces entreprises : le ré - examen des montages juridiques, financiers et techniques des projets économiques dans un sens plus favorable aux populations locales ainsi des reformes du patrimoine foncier, notamment du domaine privé de l’Etat sont impératifs.

    Pour plus d'informations cliquez ici: http://odmfrance.web.officelive.com/default.aspx/


    Christian MAYANDJI

    Consultant en Management


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